Sophie Lebrun, du collectif La Cohue, signe un double portrait de femme dans un solo singulier. En tournée après un passage par la Cabane du Monfort, à voir dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin
Au départ, il y a une audition ratée. Il y a deux ans, Sophie Lebrun se présente pour le rôle d’une jeune femme issue de l’immigration nord-africaine. Son physique ne présente pas les caractéristiques habituelles du type maghrébin, elle n’est pas retenue. Nul ne peut deviner qu’elle est née à Tunis et qu’elle a une grand-mère algérienne. Ce refus l’a conduite à se poser de multiples questions sur les origines, l’histoire des générations antérieures et de celles issues de l’immigration algérienne. Comment les anciens ont-ils pu renoncer à leurs racines ? Comment sont-ils parvenus à s’intégrer ? A quel prix ? Pour construire son spectacle, la comédienne a mené un travail de recherche documentaire sur la guerre d’Algérie et la décolonisation, complété par des entretiens individuels avec des personnes issues de l’immigration algérienne dans la région de Caen, où est basé le collectif La Cohue. « Tentative de fiction sur des faits et des ressentis réels », Anna-Fatima est un solo sur deux personnages de femme.
Effet miroir
La rencontre avec Anna-Fatima (personnage réel ? imaginé ?) a été déterminante. Le spectacle se construit, entre documentaire et fiction, autour de son personnage, écrit par Sophie Lebrun et Martin Legros, du collectif La Cohue. La comédienne et metteure en scène a reconstitué son bureau sur le plateau : une table basse sur lequel est posé l’épais dossier des entretiens recueillis, un fauteuil, une plante verte, une enceinte diffusant la voix de la « journaliste », une caméra vidéo pour enregistrer voix et image d’Anna-Fatima. Le ton est libre, familier, la relation devient quasi amicale. Au fil des rencontres, l’effet miroir agit, l’interviewée renvoie un écho à l’histoire de Sophie. Car Anna-Fatima pourrait être son double. Née dans un pays qu’elle ne connaît pas, l’Algérie la poursuit. Elle parle, pour faire vivre des souvenirs qui ne sont pas les siens, parler de choses qu’elle n’a pas vécues. Le jeu sensible et précis de la comédienne, jouant entre deux voix, à tel point qu’il semble qu’il y a deux présences sur le plateau, les mots simples, pudiques, le juste dosage d’évocation du passé et d’histoire personnelle installent le spectacle dans la durée avant de se clore sur une image onirique.
Anna-Fatima * *
Fontenay-en scènes, Fontenay-sous-bois, Espace Gérard Philipe, le 13 novembre à 18 h. Tél. 01 71 33 53 35.
(Photo Virginie Meigné)