Le mage du Kremlin

A La Scala, Roland Auzet adapte et met en scène le livre à succès de Giuliano da Empoli

Depuis quelques années, Roland Auzet interroge l’histoire contemporaine à travers des œuvres littéraires. Après Nous l’Europe, banquet des peuples, en collaboration avec Laurent Gaudé, et Adieu la mélancolie d’après le Chinois Luo Ying, le musicien et homme de théâtre a choisi d’adapter le roman de l’auteur italien Giuliano da Empoli, paru en 2022, couronné du Grand Prix du roman de l’Académie française, et grand succès de librairie. Quel est-il, ce « mage » du Kremlin ? Dans cette fiction, il se nomme Vadim Baranov, ancien artiste, producteur d’émissions de télé-réalité, éminence grise du « Tsar » Poutine. Dans la réalité, l’homme de l’ombre se nommait Vladislav Sourkov, metteur en scène de théâtre avant d’être le « spin doctor » de Poutine entre 1999 et 2021, auteur du concept de « démocratie souveraine », deuxième homme le plus puissant de Russie pendant un temps, personnage énigmatique aujourd’hui évincé de la sphère du Kremlin. Autant dire que la pièce fait écho avec l’actualité.

Roulette russe

La scénographie oppresse et plonge dans un climat délibérément agressif : espace aveuglant, mobilier d’une blancheur éclatante, écrans lumineux bientôt striés. Dans cet immense salon réfrigérant comme une chambre froide, Baranov, Raspoutine des temps modernes, répond aux questions d’un journaliste, français, venu l’interroger. A partir de là, des retours en arrière rappellent des pans tragiques de l’histoire russe de ces dernières années, comme le naufrage du sous-marin Koursk en 2000, les assassinats de journalistes ou d’opposants,… ou tragi-comiques avec des souvenirs de Eltsine. Manipulations, jeux de pouvoir, cynisme à haute dose, la violence avance à bas bruit, et la dictature aussi. « Il n’y a rien de plus sage que de miser sur la folie des hommes », le texte n’est pas avare en formules percutantes. La présence de micros met à distance les personnages comme s’il s’agissait d’avatars mécaniques. Ce sont pourtant bien de grands comédiens qui se glissent dans la peau des personnages : Philippe Girard, inquiétant et ténébreux Baranov, Hervé Pierre, sympathique et roublard Berezovsky, Stanislas Roquette, le journaliste inspiré. Sans oublier Andranic Manet, Tsar blafard, Claire Sermonne, Karina Beuthe Orr, Irène Ranson Terestchenko, Jean Alibert et Anouchka Robert.   

Le mage du Kremlin  * *

La Scala, 13 bd de Strasbourg, Paris 10e. Tél. 01 40 03 44 30. www.lascala-paris.com Jusqu’au 3 novembre.

(photo Thomas O’Brien)