Au Vieux-Colombier, une pièce inspirée du scénario de Pier Paolo Pasolini mais pas seulement
Une belle villa en bord de mer, symbole d’opulence. Comme chaque été, la propriétaire, une femme âgée, assistée d’une jeune employée, attend sa famille : son fils, sa femme, et leurs deux enfants. La grand-mère est autoritaire, sans affect, méprisante avec Nour, à son service. Sur la plage en bas, elle a rencontré un garçon, qu’elle a invité à venir dans la maison… Si l’on a vu le film Théorème, on connaît ce qu’il adviendra de cette visite, mais nous ne sommes pas ici dans l’univers de Pasolini. Le père représente à lui seul le capitalisme sûr de lui : « une saleté d’homme », reconnaîtra-t-il en bout de course. Même en vacances, même en famille, il passe son temps à lire la presse, suit l’actualité politique et sociale. L’occasion, pour Amine Adjina, d’introduire les problématiques de l’époque : la montée de l’extrême roite, les feux de forêts, les migrants morts en mer. La mère incarne la femme bourgeoise, et les enfants ont des velléités artistiques, le garçon fait des photos, la jeune fille répète le jour d’Elvire. Un jour, elle annonce qu’un crime a été commis sur un terrain vague… un poète a été assassiné.
Une transgression version soft
Le titre de la pièce associe celui du film de Pasolini, qui fit scandale à sa sortie (1968) et une phrase énoncée par Don Juan, dans la comédie de Molière. Le croisement des personnages, celui du visiteur de Théorème, et celui d’Elvire est moins artificiel qu’il n’y parait, le visiteur, un étranger à la peau douce semant le trouble, pouvant apparaitre comme un Don Juan révélateur des désirs. Beaucoup moins provocateur et sulfureux que le film dont il s’est inspiré, le texte, mélange de langage courant et de passages poétiques, reste à la surface des personnages et, sinon vers la fin (avec des surtitres ridiculement grossis), demeure frileux, comme la mise en scène sans aspérités d’Amine Adjina et Emilie Prévosteau. La scénographie de Cécile Trémolières est un espace à jouer sur plusieurs niveaux où vont s’accomplir les fantasmes, avec la projection d’images vidéos dans des lumières feutrées voilant les moments dérangeants. Au côté des comédiens affirmés, Danièle Lebrun, Alexandre Pavloff et Coraly Zahonero, les jeunes comédiens se distinguent, à commencer par Birane Ba, malgré la vision lisse et angélique du Garçon, et Marie Oppert, une révélation, et aussi Claina Clavaron et Adrien Simon.
Théorème/Je me sens un cœur à aimer toute la terre *
Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris 6e. Tél. 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr Jusqu’au 11 mai.
(photo Vincent Pontet, coll. Comédie-Française)