A l’affiche du Festival d’automne, le spectacle sur le documentaire de Claude Lanzmann poursuit une belle tournée
Dans la lignée de ses créations à partir de textes non théâtraux, Nicolas Bouchaud s’inspire cette fois, avec les fidèles Véronique Timsit et Eric Didry, du documentaire de Claude Lanzmann filmé pendant le tournage de Shoah sauf que, davantage que la transcription écrite d’Un vivant qui passe, les rushes du film sont le point de départ de leur adaptation. On connaît la situation : le délégué du Comité interministériel de la Croix-Rouge internationale, Maurice Rossel, doit visiter le camp de Theresienstadt et faire un rapport. Dans ce camp étaient internés des juifs « privilégiés », de passage avant d’être envoyés vers une autre destination, Auschwitz ou Treblinka. La visite a été préparée par les nazis, « arrangée » comme une « partie de théâtre ». Y avaient même été installés des leurres : salle de spectacle, jardin d’enfants, terrain de sport,… Au tribunal de l’Histoire, Rossel est condamné d’avance comme celui qui n’a pas voulu voir. Qu’aurait-il donc dû voir, selon Lanzmann ? Quel « au-delà » ?
La question du regard
L’homme qui se trouve en face du cinéaste apparaît comme un homme dans sa neutralité ordinaire, honnête avec lui-même, discipliné, qui « apprend le métier ». Comment on regarde ? Que voit-on ? Pourquoi, comment Rossel n’a-t-il pas vu ? Autant d’interrogations posées par Lanzmann, et de réponses revisitées par le trio Bouchaud-Didry-Timsit. « C’est toujours vrai, ça dépend de celui qui regarde », dit Rossel au début de l’entretien. En cela, il n’a pas tort. Mené comme une contre-enquête passionnante, inquisitrice et subtile, le spectacle est interprété par Nicolas Bouchaud, dans une fine sobriété de jeu, Rossel en quête (sincère ?) de sa mémoire, sa perception de sa visite, son ressenti, et Frédéric Noaille, le cinéaste insistant, poussant Rossel dans ses retranchements, tel un enquêteur voulant faire avouer un coupable. Entre la visite du camp préparée comme « une partie de théâtre » et la confrontation qui se joue sous nos yeux, un parallèle se dessine : c’est une question de mise en scène. Au service du mensonge dans un camp, au service de la vérité dans un autre. Une troublante interrogation, et une vertigineuse mise en abyme.
Un vivant qui passe * * *
Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris 11e. Tél. 01 43 57 42 14. www.théâtre-bastille.com Jusqu’au 7 janvier. Tournée : 18 au 22 janvier, Théâtre de Vidy-Lausanne, 3 et 4 février, Cergy-Pontoise, du 9 au 12 février, Clermont-Ferrand, du 22 au 24 février, Comédie de Caen, du 2 au 4 mars, Nice, 22 et 23 mars, Saint-Nazaire, du 29 mars au 9 avril, Toulouse, 4 et 5 avril, Aix-en-Provence.