Dans un conte noir, Pascal Rambert renvoie la violence du désir masculin à la bestialité
Il faut lever les yeux vers la droite pour apercevoir, perché sur une balustrade, un hibou, veilleur nocturne, observateur impénétrable de ce qui se vit en dessous : le quotidien de quatre frères, bûcherons ou menuisiers. De l’autre côté du plateau, un entrelacs de troncs d’arbres morts, couchés. Les quatre hommes –Pascal, Adama, Frédéric et Arthur (ils portent le prénom de leurs interprètes)- travaillent dans la forêt et habitent ensemble un lieu austère, monacal, quasi carcéral. Une jeune femme, Marie, est leur servante. Distante, autoritaire et silencieuse, mère nourricière ou esclave convoitée, elle leur dispense la nourriture selon un rituel immuable. En dehors des repas, objet de tous leurs fantasmes et de leurs désirs, sa présence exacerbe leurs frustrations. Les nuits sont agitées, hantées de rêves obsessionnels. Chacun à son tour se retrouve, réduit à l’état de bête, feulant, bavant, éructant, devant la porte de Marie. Elle, elle règne sur eux : « Vos imaginaires sont nuls ».
Un dénouement tragique
On craint le massacre à la tronçonneuse, ce sera pire. Délaissant le côté Blanche-Neige et les quatre nains, ou encore Boucle d’or, le méchant conte aux parfums archaïques vire à la tragédie grecque avec la terrifiante vengeance de Marie. La mise en scène, la situation frise parfois l’outrance, le mauvais goût, ne craint pas le grotesque ni le ridicule (la menace des scies électriques, l’épluchage des pommes de terre, l’apparition nocturne). Dans l’imposante et spectaculaire scénographie de Riccardo Hernandez, les personnages sont renvoyés à leur isolement. L’interprétation est impeccable, réglée au cordeau par la chorégraphie de Damien Jalet. Adama Diop, Pascal Greggory, Frédéric Pierrot et Arthur Nauziciel (metteur en scène de la pièce) sont les quatre brutes primaires soumises à la violence de leurs désirs. Tout en laissant filtrer (ouf !) une pointe d’ironie et de distance. Dans un bouleversant épilogue, Marie (superbe Marie-Sophie Ferdane), enfin libérée de l’oppression masculine, et de son mutisme, délivrera sa vérité. Son message donne la clé de la pièce. Mais avant d’en arriver là, il faut attendre et assister à des scènes souvent dérangeantes et répétitives.
Mes frères * *
La Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e. Tél. 01 44 62 52 52. www.collline.fr Jusqu’au 21 octobre. Théâtre National de Bretagne, Rennes, du 10 au 14 novembre et les 20 et 21 novembre.
(Photo Philippe Chancel)