Christophe Honoré convoque les artistes qu’il a admirés dans sa jeunesse, tous morts du sida. Une rencontre magnifique et poignante.
Il est dit que les années de sa jeunesse perdurent en soi, que ne s’efface jamais l’empreinte de ses admirations d’alors, littéraires, artistiques. Si l’on applaudit aujourd’hui ces Idoles, c’est bien parce que Christophe Honoré, lorsqu’il était adolescent, a admiré Jacques Demy, mort en 1990, l’année des vingt ans du futur cinéaste. Pour écrire ce spectacle personnel, dans la veine de Nouveau Roman (2012), Honoré s’est beaucoup documenté, a repris des textes des uns et des autres, imbriqué dans son écriture des improvisations de ses interprètes (1). Cela débute en 1993, un an après le décès de Dominique Bagouet. L’ombre du chorégraphe de Jours étranges plane sur le plateau : « Comment danse-t-on après ? » Après la mort de ses modèles, tous morts du sida. Chacune de ces années-là compte ses artistes morts trop jeunes. Il y a la promo 92, celle de 93… Ressurgissent ici la mort de Rock Hudson, le choc de la découverte de la maladie, la peur de la contagion, le déni de l’homosexualité, le scandale du film de Cyril Collard, Les nuits fauves.
Une écriture chorale
La musique des Doors résonne, chacun des six artistes ressuscités par Honoré danse au royaume des ombres. Ils sont là, revenus d’entre les morts et se parlant, personnages réels recréés pour l’occasion : Jacques Demy, Hervé Guibert, Jean-Luc Lagarce, Serge Daney, Cyril Collard, Pierre-Marie Koltès. Certains se connaissent, se côtoient, s’apprécient, d’autres s’ignorent ou se détestent. Aucune recherche de ressemblance physique pour les interprètes, seul l’esprit importe. Ainsi Marina Foïs reprend à son compte l’humour aigre d’Hervé Guibert et Marlène Saldana l’extravagance refoulée de Jacques Demy. Youssouf Abi-Ayad est Bernard-Marie Koltès, Harrison Arévalo joue Cyril Collard, Jean-Charles Clichet, le ciné-fils Serge Daney et Julien Honoré, Jean-Luc Lagarce. Des monologues s’insèrent dans l’écriture chorale de la pièce, dans une ébullition des esprits et des frémissements charnels. Le spectacle oscille entre le grave et l’incongru, les échanges caustiques et les scènes poignantes.
Retour de la maison des morts
Ces revenants habitent le décor de Alban Ho Van, lieu de passage entre entrailles de maison des morts et lieu de drague souterrain. Les lumières de Dominique Bruguière ont la tonalité de tableaux de Hopper. Dans un recoin, une publicité du Club Med de l’époque affiche en lettres capitales, sur fond de mer et de ciel bleu : Rêver. Pas question de rêve ici, ou sinon fracassé, pour ces artistes atteints par le virus, qui vont connaître « le désespoir de savoir que l’on se quitte », être fauchés. L’hommage est puissant, l’émotion quitte rarement le plateau, traversée par quelques moments de folie, comme quand Marlène Saldana parodie une scène des Demoiselles de Rochefort, de drôlerie ou de tragique quand Guibert-Marina Foïs dit la mort de Michel Foucault. Guère de provocations, quelques complaisances, des petites facilités mais qui sont balayées par la mort qui rode et rend plus forts encore le désir, l’amour, la vie.
(1) Scène imaginaire de Christophe Honoré, entretien avec Arnaud Laporte dans le cadre des Frictions de France Culture, le lundi 28 janvier dans la salle du théâtre .
Les idoles * * *
Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, Paris 6e. Tél. 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu Jusqu’au 1er février. Du 6 au 7 février à la Comédie de Caen. 14 et 15 février, au Granit, à Belfort.