Onéguine

A Saint-Denis, Jean Bellorini donne à voir et entendre le roman en vers de Pouchkine dans la magnifique traduction d’André Markowicz

« Voici l’histoire d’Eugène Onéguine »… Le public s’est installé, chacun a pris le casque mis à sa disposition, l’a calé sur ses oreilles. Mélodie-Amy Valet, au piano, donne le la. On entend le galop d’un cheval, le vent, le traineau glissant sur le sol,… embarquement pour un voyage dans la Russie de Pouchkine, Eugène Onéguine quitte Petersbourg pour se rendre dans un domaine à la campagne. Là, il se lie d’amitié avec son voisin Lenski, épris d’Olga, et rencontre Tatiana… Pour Jean Bellorini, « le théâtre est invisible », il naît quand l’imaginaire se met en marche. Directeur du Centre Dramatique national de Saint-Denis, il a conçu sa dernière création pour pouvoir voyager, être donnée partout, jouée là où il n’y a pas de lieu prévu à cet effet. Dans l’esprit de l’itinérance des grandes heures de la décentralisation qui apportait le théâtre dans des lieux reculés. Ainsi le dispositif scénique est sommaire, disposant deux gradins face à face, les comédiens circulant dans la partie centrale, susurrant dans un micro les magnifiques vers de Eugène Onéguine, œuvre exceptionnelle écrite par Pouchkine entre 1821 à 1831, quand il est exilé par le tsar Alexandre Ier. Le narrateur annonce le nombre d’octosyllabes –plus de 5 500-, sublimement traduits par André Markowicz.

Comme un secret partagé

Il y a de l’envoûtement dans cette expérience où poésie et théâtre sont intimement mêlés. La lueur de quelques bougies, les notes d’un piano, les sons imaginés par Sébastien Trouvé (une réalisation exceptionnelle), la composition musicale transportent là où se passe le roman, au plus près des personnages, font surgir des images. Toujours la primauté est donnée au texte, à l’impériale beauté des vers chuchotés par les comédiens, comme en secret, délivrés à soi seul. L’attention du spectateur-auditeur est entièrement captée par la voix qui accompagne le spleen d’Onéguine mais le théâtre ne se fait pas oublier qui introduit de la distance en jouant avec le dispositif, quand par exemple on ôte le casque pour retrouver la réalité de la représentation ou bien lorsque l’on entend le pétillement de bulles de champagne quand les comédiens ne versent que de l’eau dans les verres. Dans une maitrise remarquable de la technique de sonorisation, Mélodie-Amy Wallet, assistante à la mise en scène, Clément Durand, Gérôme Ferchaud, Antoine Raffali et Matthieu Tune restituent la musicalité des vers, de la rythmique, des sons, ils portent haut la splendeur de la traduction à laquelle André Markovicz a consacré plusieurs années de sa vie, faisant à son tour œuvre de poète.

Onéguine                            * * * *

Théâtre Gérard Philipe, 59 bd Jules Guesde, 93 200 Saint-Denis, tél. 01 48 13 70 00. www.theatregerardphilipe.com Jusqu’au 27 septembre.