L’homme de plein vent

Au Théâtre de la Bastille, Pierre Meunier et Hervé Pierre se retrouvent vingt-sept ans après la création du spectacle

C’est une image que l’on n’oublie pas : deux hommes assis sur une corde en équilibre au-dessus du sol. Que font ainsi perchés ces deux comédiens magnifiques ? Que vont-ils faire ensuite ? Descendre, bien sûr, de ce perchoir intranquille, ou tenter de le faire. Et vaquer alors à une série d’activités totalement extravagantes, comme récupérer des boulets de fonte jaillis de tuyaux pour aller, tant bien que mal, à l’aide de vieilles gouttières, les enfermer dans une cage. C’est le duo magnifique de cette aventure singulière, merveilleuse, et poétique, qui réunit depuis plusieurs années Pierre Meunier et Hervé Pierre, créateurs, en 1996, de L’homme de plein vent, une météorite dans le paysage théâtral. Soit Léopold Von Fligenstein et Kutsch défiant la pesanteur, ce « fléau du monde » : Léopold (personnage issu de la Volière Dromesko) est un doux dingue, philosophe, rêveur actif et inventeur métaphysique, et Kutsch (nom d’une règle à calculer !), un ancien vérificateur des poids et mesures qui l’assiste et aime caresser en douce un kilo étalon.

Une rêverie physique

Et voici qu’ils reprennent ce texte, et ce spectacle ô combien physique, avec les années en plus, qui font se tasser les corps et sentir le poids du temps. Humains tenaces, héros beckettiens dans leur solidarité fraternelle, les deux clowns de la pesanteur, et donc de la légèreté, se démènent avec un bric-à-brac soigneusement accumulé : vieux sommiers métalliques, poulies, ferrailles rouillées, cordes, toiles, et encore cette spirale sauvage et féroce enfermée dans une caisse en bois… Et quand, dans son rêve d’Icare, Léopold-Pierre Meunier, suspendu à un mât, côtoie les nuages, la voie lactée, frôle la Grande Ourse, la magie opère. Plus terrien, Kutsch-Hervé Pierre accompagne ce rêve insensé, sans trop y croire mais sait-on jamais ? Pour manœuvrer tout ce singulier appareillage, il faut bien sûr un troisième acolyte : c’est Jeff Perlicius qui tire les ficelles et les cordages, il tient son rôle à la perfection. Sous le regard de Marguerite Bordat, qui dirige avec Pierre Meunier la compagnie La Belle Meunière, les  deux comédiens donnent, à leur façon, à tous les courbeurs de nuque, une saine et ragaillardissante leçon de philosophie et de vie : ne pas renoncer à toujours s’élancer.

L’homme de plein vent      * * *

Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris 11e. Tél. 01 43 57 42 14. www.theatre-bastille.com Jusqu’au 26 mai.

(Photo Jean-Pierre Estournet)