Les démons

Avec sa somptueuse première mise en scène Salle Richelieu, le Flamand Guy Cassiers fait une entrée éblouissante à la Comédie Française.

Paru en 1872, Les possédés, ou Les démons, est une « œuvre polyphonique », ainsi que la qualifie Guy Cassiers, où chaque voix a sa propre ligne distincte dans un chœur. Au lecteur, au spectateur, de les percevoir. Le metteur en scène flamand suit la structure du roman et met l’image au service de l’œuvre complexe. C’est ainsi qu’il s’est inspiré de l’espace vide d’un palais de verre, plus précisément le Crystal Palace que Dostoïevski découvrit lors d’un séjour à Londres en 1861, construction symbolique pour lui d’un monde inhumain, en déclin. Le roman se focalise sur le nihilisme, courant en vogue à l’époque chez les jeunes révolutionnaires russes, qui n’est pas sans rappeler le terrorisme qui vient de l’intérieur et menace nos sociétés. Dans une traduction de Marie Hooghe et l’adaptation d’Erwin Mortier, Cassiers fait se confronter la génération des pères, révolutionnaires de salon, à celle des fils, prêts à tout détruire.

Un dispositif vertigineux

La scénographie de Tim Van Steenbergen est spectaculaire, qui fait basculer trois écrans au-dessus du plateau tandis que derrière des parois de verre, on aperçoit un quatuor de musiciens, un samovar, une tempête de neige,… Sur la scène, les comédiens jouent seuls, face caméra, tournent le dos à leur partenaire pour se retrouver face à face sur l’image projetée. Le procédé, étonnant, qui peut paraître au premier abord alambiqué, sophistiqué, s’avère être un dispositif puissant autant que troublant mis au service d’une œuvre monstre pour mieux en diffracter les ressorts et en creuser les abysses. Dans la deuxième partie, chacun se confronte, le monde chimérique des anciens fait place à la nouvelle génération. Les personnages se révèlent, s’affrontent. De l’illusion à la réalité, la violence, la folie, l’incompréhension de soi-même éclatent. La troupe de la Comédie Française, comme à chaque fois qu’elle est dirigée par un grand metteur en scène étranger, se révèle au plus haut niveau : Hervé Pierre, vaguement ridicule, se découvrant impuissant devant la jeunesse, Dominique Blanc, subtile en aristocrate calculatrice, Christophe Montenez, impressionnant Stravoguine, inquiétante incarnation du mal, Jérémy Lopez, tout aussi terrifiant, et aussi Jennifer Decker, Suliane Brahim, Claïna Clavaron,… tous au service d’une très grande réussite.

Les démons                             * * * *

Comédie Française, Salle Richelieu, Place Colette, Paris 1er. Tél. 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr En alternance jusqu’au 16 janvier 2022.

(Photo Christophe Raynaud de Lage, coll. Comedie-Française)