La tendresse

Dans un théâtre performatif énergique et puissant, Julie Berès met à mal le modèle masculin.

Après Désobéir, son volet féminin, Julie Berès a écrit, avec la participation d’Alice Zeniter et de Kevin Keiss, le second volet d’un diptyque sur la jeunesse et la construction du genre, côté masculin cette fois. Qu’est-ce qu’être viril ? comment être un homme bien ? aborder les femmes ? devenir père ? Les réponses à ces questions et à bien d’autres posées à des jeunes hommes ont nourri la matière documentaire de ce travail sur le rapport à la masculinité. Venus du Congo, de Picardie, des Comores, adeptes du hip-hop, du break ou de la danse classique, les garçons rencontrés ont joué le jeu et leurs témoignages ont servi l’écriture du texte. On y parle vrai et cru parfois, sincère toujours : la première fois, la différence, l’homosexualité, la pornographie,… Le dispositif scénique (Goury) évoque un terrain vague, ou un sous-sol, ou encore une caverne. On y accède par le haut et on se laisse dévaler sur les côtés ou bien on entre par le centre, fermé par deux portes comme un toril. Cette arène profonde est soudain envahie, rageusement, furieusement, par les huit interprètes de Julie Berès qui inscrivent aussitôt sur les murs, sur fond de rap survolté, « la tendresse », accolée à leurs prénoms.

Bruit et fureur

A l’opposé de ce qui est affiché, le groupe est comme une bombe prête à exploser. Contenus dans une chorégraphie de Jessica Noita, accordée à la création musicale de Colombine Jacquemont, les affrontements s’apparentent à des joutes dans lesquelles les individualités se détachent, s’expriment, interpellent le public. Clichés du masculin, stéréotypes, poids du patriarcat, chacun y va de son expérience, de ses peurs, de ses doutes et fragilités. Scène de guerre fantasmée, instants de confidence, questionnement sur sa puissance sexuelle, le texte passe en revue les problématiques de la masculinité, portées par un chœur fougueux. Bboy Junior, Natan Bouzy, Naso Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner et Mohamed Seddiki, formidables performeurs et interprètes, dégagent une montagne d’énergie. Leurs assauts follement engagés, les battles offrent des moments forts et poétiques, comme la danse kaléidoscopique de Naso Fariborzi, les figures académiques de Natan Bouzy, celles très athlétiques de Bboy Junior,… Pour Julie Berès, on ne nait pas homme, on le devient. A voir.

(publié le 14 mai 2022)

La tendresse                             * * *

Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis bd de la Chapelle, Paris 10e. Tél. 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com Du 6 au 23 décembre.

(Photo Axelle de Russé)