Et le cœur fume encore

A la Maison des Arts de Créteil, un spectacle enthousiasmant de la compagnie Nova

« J’ai la douceur du peuple/Effrayante/Au fond du crâne/Et le cœur fume encore/L’hiver est pour demain. » Parce que « politique et littérature sont les deux faces d’une même histoire », la compagnie Nova a emprunté à Kateb Yacine le titre de son spectacle. L’esprit de l’écrivain algérien flotte sur cette création, comme sont fortes également les évocations de Assia Djebar, Edouard Glissant, Jérôme Lindon. Pour effectuer ce travail « depuis la mémoire française » et cette remontée dans l’Histoire, Margaux Eskenazi et Alice Carré ont rencontré des historiens, des sociologues, des artistes algériens et  recueilli des témoignages de personnes ayant vécu la guerre ou hérité de sa mémoire. Comment respecter les silences, les souffrances ? Comment, encore maintenant, se comprendre, établir un dialogue ? Que ce soit dans la collecte des paroles, l’écriture, la mise en scène et l’interprétation, le travail de la compagnie est remarquable. Les scènes s’enchaînent, reconstituant les grandes lignes de la guerre d’Algérie et ses conséquences, croisant les témoignages, entremêlant les temps, la recherche historique, documentaire, et la littérature. On passe d’un camp militaire le soir de Noël 1955 à l’attentat du casino de la Corniche à Alger en 57, avant de faire un saut dans le temps, en 2018, avec la recherche de témoins, et de revenir à la mise en scène d’une pièce de Yacine à Bruxelles par Jean-Marie Serreau, au référendum de 58 ou encore au tribunal pour le procès de Jérôme Lindon en 61 ou au tournage de La bataille d’Alger par Pontecorvo en 65…

Sept interprètes magnifiques

Grâce à la scénographie ultra légère de Julie Boillot-Savarin (un simple voilage), les sauts de mémoire sont fluides, les changements les plus spectaculaires venant des interprètes eux-mêmes, instantanément et intimement dans leur personnage. Et l’écriture, très maitrisée, parvient même à installer une progression dramatique, avec des scènes sur « l’après », comme ce 30ème anniversaire tragi-comique dans une salle des fêtes municipale en 1992, ou cette réaction des supporters lors du match entre la France et l’Algérie au Stade de France en 2001. Pour jouer tous ces personnages, ils sont sept jeunes comédiens qui s’emparent du plateau, passent d’une individualité à l’autre, d’un sexe à l’autre, femmes et hommes d’hier et d’aujourd’hui, d’ici ou de là-bas, militaires et militants, harkis, pieds-noirs, anticolonialistes, travailleurs algériens et leurs descendants. C’est formidablement vivant et stimulant, superbement incarné par Armelle Abibou, Loup Balthazar, Salif Cisse, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphaël Naasz et Eva Rami. Bravo.

(Spectacle vu au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis en février 2020)

Et le cœur fume encore                           * * *

Maison des Arts de Créteil, place Salvador Allende, 94 000 Créteil. Tél. 01 45 13 19 19. www.maccreteil.com  Du 9 au 12 février. Le 15 février, Corbeil-Essonnes, le 15 février, Lannion, 22 février, Château-Gontier, le 24 février, Evreux, 1er et 2 mars, Douvres-la-Délivrande, 4 et 5 mars, Tours, 8 et 9 mars, Argentan, 15 mars, Pont-Audemer, 18 mars, Carros, 22 mars. Tournée à suivre sur lacompagnienova.org

(Photo Loïc Nys)