Berlin 33

René Loyon fait entendre la parole d’un lanceur d’alerte de l’Allemagne des années 30

« Je vais conter l’histoire d’un duel. C’est un duel entre deux adversaires très inégaux : un Etat extrêmement puissant, fort, impitoyable – et un petit individu anonyme. L’Etat, c’est le Reich allemand ; l’individu, c’est moi… » Ainsi Sebastian Haffner entame-t-il, en 1939, son récit Histoire d’un Allemand – Souvenirs 1914-1933. Au début de l’année 1933, Haffner a 25 ans. Jeune homme de bonne famille, « bien élevé, aimable, correct », il fait des études de droit pour devenir magistrat. En 1938, il fuit le nazisme et s’installe à Londres où un éditeur lui propose d’écrire un livre sur la vie des Allemands pendant la montée du nazisme. Mais la guerre éclate et le livre n’est pas publié. Il ne le sera qu’en 2000, un an après sa mort, en Allemagne où il était retourné en 1954. Conçu par Laurence Campet, Olivia Kryger et René Loyon, le récit conté sur scène s’attache à la seule année 1933, celle où Hitler arrive au pouvoir. Et pourtant, son parti n’a recueilli que 44 % des voix. Haffner retrace la vie quotidienne de ces années-là, quand peu à peu, insidieusement, s’installent la crédulité, la peur, la lâcheté, la délation, les disparitions et les persécutions contre les juifs.

Sobriété du jeu et de la mise en scène

Chez certains, le renoncement l’emporte, chez d’autres, la lâcheté, quand ce n’est pas la fascination pour un personnage dont le projet est « d’inoculer systématiquement à un peuple entier -le peuple allemand– un bacille qui fait agir ceux qu’il infecte comme des loups à l’égard de leurs semblables ou qui, autrement dit, déchaîne ces instincts sadiques que des millénaires de civilisation se sont efforcés d’éradiquer. » Dans l’intimité du lieu de la salle Marie Curie, en proximité avec le public, assis à une table sur laquelle sont posés des feuillets, René Loyon est seul en scène. Le monologue n’est jamais austère ni ennuyeux, entremêlant la chronologie des événements et la vie personnelle. Le témoignage, lucide, raconte la vie au jour le jour, les désirs d’avenir de l’auteur, les relations avec ses parents, avec sa jeune amie juive. « Je vivais dans la même apathie que des millions d’autres personnes, je laissais venir les choses. Elles sont venues. » On croit entendre comme un avertissement.

 

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La Reine Blanche, Passage Ruelle, Paris 18e. Tél. 01 40 05 06 96. www.reineblanche.com Jusqu’au 29 décembre.

(Photo NatHervieux)